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Mieux considérer son corps

Pierre Dalarun (psychomotricien, Paris)

Le corps n’est pas qu’une machine difficile à entretenir. Il est aussi le réceptacle des sensations et des émotions. Retrouver l’équilibre du poids, c’est aussi se réconcilier avec lui, se remettre en mouvement. Pour le plaisir.

Le slogan « Manger moins, bouger plus » est présent dans tous les esprits quand il s’agit de perdre du poids. En ce qui concerne le « bouger plus », la littérature médicale insiste effectivement sur l’importance d’une activité physique modérée, régulière et fréquente, dans la prévention et le traitement de l’obésité. L’objectif premier n’est pas forcément d’obtenir une perte de poids, mais d’éviter la prise ou la reprise de poids, et de traiter les complications associées, notamment métaboliques.
À l’heure actuelle, la tendance est de délaisser la voie sportive pour recommander, de façon plus large, une augmentation de l’activité physique dans la vie quotidienne.
Certains chercheurs (le Journal du CNRS n° 168, janvier 2004, « Le poids des gestes au quotidien ») tentent par ailleurs de prouver que les maigres auraient une somme de petits gestes et de petits déplacements quotidiens plus importante que celle des gros. Ce qui occasionnerait une dépense d’énergie plus élevée, susceptible de contribuer à la régulation du poids.
Mais, quand bien même les gros seraient moins actifs que les maigres, va-t-on en tirer la conclusion que l’inactivité physique est la cause de leur surpoids ? Ces recherches sont en fait fondées sur l’idée reçue que les gros ne bougent pas, voire qu’ils sont fainéants. En effet, si l’inactivité physique est l’une des causes de l’“épidémie d’obésité”, elle en est aussi beaucoup plus sûrement l’une des conséquences. C’est l’histoire de la poule et de l’œuf. Espérons seulement que ces études arrivent à démontrer le contraire de leurs présupposés.
Il n’en reste pas moins que l’être humain a certainement besoin d’un volume minimal d’activité physique pour nourrir son existence, qu’il soit gros ou maigre.

Pour l’enfant, bouger est source de plaisir

Le conseil prodigué actuellement est donc de pratiquer une activité d’intensité modérée (marche ou exercices spécifiques) de 30 minutes au minimum (de 60 à 80 minutes de façon optimale), en une ou plusieurs fois dans la journée.
Mais, à long terme, un “programme” d’activité physique qui consisterait simplement à augmenter les dépenses énergétiques en marchant, ramant ou pédalant risque de sombrer dans la routine et l’ennui jusqu’à être abandonné, comme tout bon régime. Ce qui recouvre la fameuse question de la motivation sur le long terme.
Autrement dit, il s’agirait de développer de l’intérêt pour son corps et d’éprouver du plaisir à bouger pour se motiver. Est-ce possible, même si les cours d’éducation physique à l’école nous ont parfois laissé de mauvais souvenirs ?
À en croire le philosophe Michel Serres (Variations sur le corps, éd. Le Pommier, 2002), les « jouissances de base » de l’être humain sont pourtant liées à son activité physique, à savoir respirer, s’éveiller, tenir debout, sauter, marcher, courir, porter, etc.
En regardant de près cette liste non exhaustive, on peut y reconnaître grossièrement les différentes étapes de l’évolution psychomotrice de l’enfant.
Effectivement, qui prend le plus de plaisir à bouger si ce n’est un enfant ? Pour lui, le mouvement est source de jeu, de recherche, de découvertes, d’expression, de rencontres.
Faudrait-il alors que nous, adultes, conservions notre âme d’enfant pour trouver ou retrouver de l’intérêt et du plaisir à bouger ?

Renouer le contact avec son corps

Si l’activité physique est un besoin, c’est avant tout pour servir l’existence du sujet au sein d’un écosystème. Le corps ne se réduit pas à une chaudière, c’est aussi le réceptacle des sensations, des émotions, et le substrat de base de l’activité psychique.
L’activité physique est avant tout le moyen par lequel chacun peut entrer en relation avec le monde, avec les autres et avec soi-même. Elle doit relier l’individu à une communauté humaine, elle-même reliée à un environnement, et non pas réduire le sujet à un objet en l’isolant sur un vélo d’appartement pour comptabiliser les kilomètres parcourus et les calories dépensées. Mieux vaut donc ne pas martyriser un corps qui l’est déjà bien assez comme cela, et voir plutôt dans l’exercice physique une façon de renouer le contact avec son corps, de se réconcilier avec lui.
De cette façon, on rétablit un certain équilibre intérieur, physique et psychologique. Remettre son corps en action, c’est bien, mais le remettre en action et en sensation, c’est encore mieux.
Car c’est à partir de ses sensations, de ses perceptions internes, que l’on contrôle ses besoins en général, et ses besoins alimentaires en particulier. Le voilà, le véritable intérêt de l’activité physique : retrouver le contrôle de son corps, de ses besoins, de ses envies, diminuer le stress, trouver un équilibre de vie au-delà d’un équilibre de poids.

Une dimension motrice et sensorielle

La mise en jeu fréquente et régulière de nos sensations corporelles construit et reconstruit la perception que nous avons de notre propre corps, à savoir la proprioception, sur laquelle s’étaye l’image du corps.
La proprioception nous permet quotidiennement de contrôler le fonctionnement, les besoins et les désirs du corps. Elle est à la base de notre capacité à nous autoréorganiser en permanence comme des êtres autonomes.
La proprioception se nourrit de notre activité physique, mais d’une activité physique vécue, ressentie comme étant l’expression d’une intention, d’un désir. Ce qui peut servir la régulation du poids dans l’activité physique n’est donc peut-être pas la dépense calorique, mais la mise en jeu d’éprouvés corporels qui sont véhiculés par nos circuits sensori-moteurs (c’est-à-dire les voies par lesquelles un courant de vie traverse notre corps).
D’une part, le mouvement dans son aspect moteur crée une action régulatrice de notre physiologie. D’autre part, le mouvement dans son aspect sensoriel constitue le fondement de la perception de notre existence.
À la dimension motrice du mouvement il faut donc adjoindre une dimension sensorielle. C’est à travers la complémentarité de ces deux aspects (motricité et perception) que le mouvement corporel peut être vécu avec plaisir et contribuer efficacement à mieux considérer son corps.

Différentes approches

Pour se mettre dans un rapport positif avec son corps, il s’agit en premier lieu de se poser et de s’écouter respirer, puis à apprendre à se relaxer, à s’étirer, à coordonner ses mouvements, puis à se déplacer dans l’espace. Pour cela, il existe des pratiques, des méthodes reconnues mais peu connues, y compris du milieu médical et pédagogique.
Parmi ces pratiques, la plus répandue est certainement le yoga (dont l’une des formes occidentalisées est le stretching), qui vise, comme son étymologie l’indique, l’union du corps et de l’esprit. Les formes de yoga sont diverses, plus ou moins dynamiques, plus ou moins méditatives, les écoles nombreuses, et chaque enseignant a son approche personnelle. Il conviendra alors pour l’aspirant yogi de trouver un enseignement qui lui corresponde, prenant en compte à la fois ses capacités physiques (souplesse et mobilité, notamment) et ses capacités à ressentir son corps, ce dernier point étant à considérer pour toutes les approches de ce type.
D’autres techniques, dites “de conscience du corps”, ont un intérêt particulier. La méthode de “conscience du corps par le mouvement”, de Moshé Feldenkraïs, en fait partie. Cette démarche consiste à développer une connaissance vécue du fonctionnement corporel à travers le mouvement conscient.
Citons aussi l’approche de Jacques Dropsy, qui nous fait prêter attention aux actions les plus quotidiennes et les plus banales (tenir debout, s’asseoir, marcher, respirer, s’étirer, se relaxer), et nous les fait découvrir avec une saveur particulière. Ou bien encore les travaux de Danis Bois, qui ont abouti à la création de la “gymnastique sensorielle”, qui comprend un enchaînement gestuel ayant la grâce du taï-chi-chuan.
Parmi les pratiques nous venant d’Asie, le kinomichi, créé par maître Noro, est particulièrement intéressant. Émanation de l’aïkido, le kinomichi s’est détourné de tout esprit combatif et propose un ensemble d’exercices à pratiquer à deux (le plus souvent), seul ou avec un bâton. La coordination, la conscience de l’espace et le rapport à l’autre y sont particulièrement développés. D’autres méthodes de la même veine pourront apporter cette réintégration du corps au psychisme : la “gymnastique holistique”, de Lily Ehrenfried ou l’”eutonie”, de Gerda Alexander.
Toutes ces méthodes relèvent d’un apprentissage régulier, avec un enseignant dûment formé. La notion d’apprentissage est extrêmement importante, car cela permet de stimuler nos coordinations motrices, qui sont à la base de notre organisation psychique. En effet, le bien-être viendra aussi – et surtout – d’un corps bien coordonné, dont toutes les parties sont vécues comme reliées les unes aux autres. C’est même là l’une des bases de la solidité de notre image corporelle et de notre capacité à nous affirmer.
Des mouvements répétitifs, et surtout peu variés, n’enrichissent pas notre conscience corporelle et risquent de nous lasser.

Sentir son corps et être motivé

La motivation fondée sur les aspects quantitatifs du mouvement (durée, intensité, nombre de répétitions, etc.) a donc ses limites. Au contraire, en mettant l’accent sur les qualités sensorielles du mouvement, la motivation se développe et se renouvelle d’elle-même.
C’est à partir de ces perceptions que se construit la véritable esthétique (du grec ancien aisthanesthai, “sentir”) de notre corps, celle qui se réfère au ressenti et non pas seulement à des données plastiques et visuelles.
Les activités physiques qui utilisent un travail musculaire segmentaire, comme la musculation sur machines ou les cours d’abdo-fessiers, ne favorisent pas la mise en jeu des coordinations motrices, voire les désorganisent en déstabilisant l’équilibre des chaînes musculaires. Si le résultat peut parfois être gratifiant devant le miroir, ce n’est pas pour autant que l’image de soi en sera renforcée.
À trop scruter les miroirs, nous finissons par vivre notre corps comme une projection de nous-mêmes. Ce n’est certes pas la meilleure façon de l’habiter et d’avoir des relations gratifiantes avec les autres.

Explorer la dimension ludique

Certaines personnes ont du mal à se lancer dans une pratique corporelle qui nécessite une trop grande concentration ou bien un engagement expressif trop important.
La dimension ludique de l’activité et la présence d’un groupe constituent parfois des éléments de choix importants. Ainsi, les séances de gym aquatique ont-elles de plus en plus d’adeptes. En outre, la mise en relation du corps avec le milieu aquatique est des plus bénéfiques pour se remuscler et pour s’assouplir en s’amusant. L’utilisation de petit matériel comme les “frites”, les gants palmés ou les haltères flottants permet de varier les exercices.
La gym aquatique est d’ailleurs des plus conseillées pour une personne en surpoids, pour la préserver de problèmes articulaires tels qu’une arthrose du genou. Seul inconvénient – mais de taille –, le regard des autres lors de la mise à l’eau et de la sortie. Souhaitons simplement que le regard de la société change face aux personnes en surpoids.
La convivialité d’un groupe permet aussi de ne pas compter les kilomètres et donne un vrai sens à la marche, à la bicyclette ou à d’autres activités de loisirs. Ce groupe peut être la famille, où les générations se rassemblent dans un même plaisir de bouger. Il est par ailleurs déterminant que les parents partagent une activité physique avec leurs enfants, pour les motiver à le faire eux-mêmes à l’âge adulte.

Favoriser le repos et la récupération

S’il est vrai que la sédentarité et l’inactivité sont de vilains défauts, aucun effort n’est profitable sans une bonne récupération, et notamment sans un bon sommeil. Se lancer à corps perdu dans une activité physique intensive ne fera qu’augmenter le surmenage d’une personne en manque de récupération. En dehors du sommeil, qui est le facteur numéro un de la régénération cellulaire, la relaxation, les massages et les automassages présentent un intérêt évident.
La pratique de la relaxation nous permet, d’une part, de récupérer rapidement d’un état de fatigue et, d’autre part, de prévenir l’apparition des tensions musculaires.
Le simple fait de fermer les yeux durant trois minutes et d’écouter le flux de sa respiration permet déjà
de modifier son état de tension physique et mental. Les massages ou les automassages permettent, quant à eux, par des actions mécaniques, de rétablir les flux d’énergie dans le corps. Leur intérêt est également de redéfinir, par le toucher, la perception de la peau, notre enveloppe corporelle.
S’il existe un désordre fonctionnel, le recours aux thérapies manuelles (ostéopathie, étiopathie, fasciathérapie) pourra préparer le “terrain corporel” avant d’entrer sur le terrain de sport. Il est bien évident que, pour ces approches également, il faut recourir aux services d’un professionnel diplômé.
Toutefois, quelle que soit la démarche entreprise et quel que soit son coût, la véritable difficulté est avant tout de s’accorder du temps.


Plus d’info

  • La Gymnastique sensorielle selon la méthode Danis Bois, d’Agnès Noël, éd. Point d’appui, 2000, 25 E.
  • Mieux vivre par le yoga, de Lionel Coudron, éd. J’ai lu, 1997, 8,80 E.
  • Le Corps bien accordé, de Jacques Dropsy, éd. Desclee de Brouwer, 1992, 14 E.
  • La Gymnastique holistique. De l’éducation du corps à l’équilibre de l’esprit, de Lily Ehrenfried, éd. Aubier, 1998, 11 E.
  • Le Kinomichi. Du mouvement à la création, de Raymond Murcia, éd. Dervy, 1996, 14,50 E.

Bon à savoir

Un étirement matinal est le fruit d’une recherche de bien-être par les sensations musculaires ou articulaires qu’il apporte. La perception du corps avant et après cet étirement sera différente. Le bénéfice en termes de ressenti est immédiat et renouvelable à volonté : de lourd et engourdi, le corps devient léger et disponible à l’action. Autre exemple, un mouvement bien coordonné, bien rythmé, comme peut l’être la marche, apporte des sensations de fluidité, d’équilibre, d’harmonie, d’aisance.

EH BIEN, DANSEZ MAINTENANT !

Les danseurs savent bien que l’esthétique du mouvement se construit de l’intérieur, dans son rapport à la pesanteur, à l’espace et au rythme. La danse est sans doute l’un des moyens les plus anciens d’éprouver du plaisir dans le mouvement, d’alterner des moments de pleine conscience de son corps pour l’oublier ensuite et ne se sentir qu’une énergie vivante.
France Schott-Billmann, dans son ouvrage “le Besoin de danser” (éd. Odile Jacob), estime qu’un élan nouveau nous dirige vers la danse, ou plutôt vers les danses, qu’elles soient africaines, latino-américaines, orientales, bretonnes, basques... Les bals populaires et les danses de salon retrouvent leurs adeptes, tandis que le hip-hop s’affirme comme le mouvement créatif du moment.
Délivrés d’un grand nombre de travaux de force aliénants et de longs déplacements à pied, nous n’avons plus qu’à danser pour savourer cette liberté récemment acquise.
Le jeu et la convivialité que l’on retrouve dans la plupart des danses sont aussi des moteurs puissants pour se motiver à bouger.

Publié par Association GROS le sam 05/03/2011 - 13:18